tu te réveilles en sursaut alors que tu crois tomber, tu t'agrippes à tes draps, mais tout va bien, t'es toujours au même endroit. c'était que ton esprit te jouant des tours. c'est l'une des premières nuits où tu as vraiment l'impression de bien dormir, alors tu aimerais un réveil plus en douceur, mais bon, tout ne peut pas être parfait. à la place, t'as l'impression d'avoir le dos bloqué par la surprise, ça te fait un mal de chien quand tu t'étires alors que t'as que vingt-deux ans, merde. t'enfiles ton slip que t'avais enlevé parce qu'il faisait trop chaud, tu vas aux chiottes sans jamais penser aux urgences du matin ou de l'après-midi, peu importe. aujourd'hui, tu bosses pas. hier t'as bossé jusqu'à trop tard pour remplacer ta collègue, alors t'as tes quelques heures de repos avant de reprendre du service pour tout le weekend. alors après avoir pissé, tu t'étires et tu fais le salut au soleil. tu commences la journée par le yoga, pour que tes chakras soient bien ouverts. tu t'occupes ensuite de ton chat qui réclame à manger pendant que ton chien ronfle encore sur son coussin bob l'éponge. tu te prépares un petit déj en mélangeant du fromage blanc avec des céréales aux fruits rouges. et ça te fait penser au milkshake d'hier, et au gars qui te l'avait offert. ismaël. tu souris. puis tu regardes ton téléphone et t'hésites à aller le demander en ami sur facebook. tu vérouilles. tu dévérouilles. tu re-vérouilles. bon allez, t'y vas. "l'appli facebook s'est arrêtée". tant pis. tant mieux. tu sais pas trop. alors t'ouvres insta à la place et tu revois les photos d'il y a quelques semaines, à la cascade. elie et toi êtes vraiment trop mignons sur ces photos. tu tapes deux fois pour liker les photos que t'avais pas vues avant. pis tu fronces un instant des sourcils. attends. il est treize heures trente-sept. t'es presque sûr d'avoir oublié un truc.

oh. oui. merde.
tu ne t'aies jamais autant précipité de ta vie. à la vitesse de l'éclair, t'as cliqué sur whatsapp pour envoyer un message à donnie, un gars que tu connais pas du tout, mais qui t'a donné rendez-vous à 13H30 aujourd'hui. désolé mec, j'aurai du retard, attends moi au parc j'arrive !  et tu lâches ta cuillère et ton téléphone pour filer te préparer. t'as jamais autant eu la flemme de te changer, mais c'est une course contre la montre alors tu te speed pour enfiler le premier jean que tu trouves, un truc troué aux genoux. tu ramasses ton débardeur de la veille et le renifles, mais une expression de dégoût vient déformer tes traits alors tu le rejettes là où il était. tu files dans ton armoire et tu te jettes sur un haut vert sur lequel tu vois une tache de peinture qui n'est pas partie au lavage. t'essaies de l'essuyer, mais que tu fais qu'étaler de la salive dessus alors t'abandonnes et tu te glisses dans tes chaussures. tu files regarder dans la salle de bain si t'es pas trop dégueulasse et... si, un peu quand même. tu secoues vite fait tes cheveux pour faire genre tu t'es coiffé, mais rien y faire, t'as toujours l'air de t'être réveillé il y a cinq minutes, quoi que tu fasses. t'abandonnes encore. tu te brosses les dents comme si c'était un sport olympique. t'es le usain bolt du brossage. t'aurais pu faire une référence au curling, mais t'y connais rien. tout cela fait, tu cours attraper tes clés, ton skate à l'entrée, tu dis "bye" à tes animaux et tu te rends compte à quel point ils n'en ont vraiment rien à foutre de toi. tu claques la porte pour te faire entendre de sean, le voisin d'à côté que t'aimes bien, malgré tout le bordel qu'il fait. puis tu rentres parce que t'as oublié les bières dans le frigo et cette fois-ci c'est bon, tu peux décoller. t'oublies tes écouteurs donc tu fais le trajet bercé par les bruits de la ville déjà bien active et bientôt t'arrives au parc, votre lieu de rendez-vous. il est quatorze heures cinq. t'as plus d'une demie heure de retard. mais le voilà, sur un banc. en tout cas tu penses bien. il ressemble le plus au gars sur la photo de profil. tu t'approches.  - donnie ? putain mec, vraiment, vraiment désolé, j'avais complètement zappé. tu lui offres ton poing pour que vous les entrechoquiez. un check amical entre deux purs inconnus ou presque. - c'est kipling, mais tu peux m'appeler kip. tu réalises que ça il le sait déjà. tu lui proposes une des deux bières que t'as trimbalées sur deux kilomètres quand : - mais, qu'est-ce que tu fabriques ? il a renversé du tabac en essayant (très mal) de rouler sa clope. - jvais te montrer. et tu t’assois, posant les canettes encore fraîches entre vos cuisses. tu t'appliques avec une finesse chirurgicale à lui re-rouler sa clope bien comme il faut, en passant ta langue sur la feuille sans gêne. et tu exposes ensuite la roulée sous ses yeux comme un chef d'oeuvre. -voilà, beaucoup mieux. tu prends une grande inspiration avant de sortir tes propres cigarettes. - faut vraiment que j'arrête, c'est mauvais ce truc, ça te nique vraiment tout à l'intérieur. t'as toujours pas de briquet. t'aurais du feu ? fort probablement, espères-tu. ce rush t'a stressé et t'as bien besoin de cette cigarette. - t'as fumé un joint avant, nan ? ça se sent un peu.  à moins que ce soit le clodo derrière. tu fais alors, en rigolant, pour détendre l'atmosphère. t'as l'impression qu'il t'a donné rendez-vous pour parler de choses sérieuses et t'aimes pas ça du tout.

l'aiguille se traîne sur le cadran de ta montre à une allure immensément lente. elle se perd dans le marathon du temps et tout semble avancer à reculons. l'atmosphère est lourde, compacte. il pleut. des milliers de gouttes d'eau tentent d'ensevelir le monde. et toi t'es là, sur ton banc, baignant presque entièrement dans la pénombre, à l’abri du soleil. tu l'attends, t’appréhendes. ton sachet de tabac coincé sous ton briquet, tu termines le joint que t’as salement roulé. les restes de tabac qui gisent sur la table et à tes pieds témoignent de ton manque de skills dans le domaine. t'as pas eu le temps d'aller acheter un paquet en sortant de l'appartement, ça fera l'affaire. tu tires une longue taffe, les secondes s'écoulent lentement. tu fronces les sourcils. un nuage de fumée t’enveloppe, toujours aucune trace de kip. une odeur de plantes, une odeur d'interdit, de délivrance vole autour de toi, emplit tes narines. t’hésites à lui envoyer un nouveau message. après une nouvelle latte tu décides que non, tu veux pas passer pour le stéréotype du mec désespéré. tu tues ton joint à tes pieds, dix minutes supplémentaires se sont écoulées. et puis tu relèves les yeux, un peu trop lentement, merci marie-jeanne et là, « donnie ? putain mec, vraiment, vraiment désolé, j'avais complètement zappé. » un sourire hésitant vient creuser ta joue. ton poing s’écrase contre le sien. « t’inquiète, j’ai pas vu le temps passer. » c'est un mensonge mais tu dois paraître amical, jovial. tu rajoutes pour rester dans le thème,« merci de t'être déplacé. » tu comptes bien repartir d'ici avec des réponses à tes questions. «  c'est kipling, mais tu peux m'appeler kip. » t’hoches la tête, il te parait cool. « je sais », stalker mode activé. « moi c’est donnie, mais tu le sais déjà » un léger sourire se dessine sur tes lèvres. t’es un p’tit marrant. tu devrais lui proposer de s’asseoir, ouais, mais il te coupe dans ton élan, « mais, qu'est-ce que tu fabriques ? » tu fronces les sourcils, tu comprends pas. tu suis son regard et tu tombes sur les tas de tabac froid que t’as laissé mourir sur la table. il dit « jvais te montrer » et tu ne peux qu’acquiescer. il s’assied devant toi et ses doigts se mettent en mouvement, t’essaies de garder le cap mais tu te perds quelque part entre le début et la fin, tout ce que tu sais c’est qu’il te tend la roulée la plus bandante que t'aies jamais observée. « voilà, beaucoup mieux. » t’en serais presque jaloux. « merci, j’mentirais si j’disais que j’suis pas impressionné, j’ai jamais réussi à capter le truc. » parler de sujets légers avant d’aborder elie et tout le bordel c’est peut-être pas si mal. première étape, détendre l’atmosphère. «  faut vraiment que j'arrête, c'est mauvais ce truc, ça te nique vraiment tout à l'intérieur » t’allumes ta clope, tu lèves un sourcil. « c’est des rumeurs, la clope c’est le médoc du pauvre, ça guérit tout », le sarcasme exacerbé. tu souffles la fumée. « t'aurais du feu ? », tu lui tends ton briquet ‘smile if you want the d’, dans ces circonstances, c’est assez gênant. tu relèves pas. « t'as fumé un joint avant, nan ? ça se sent un peu.  à moins que ce soit le clodo derrière. » t’esquisses un sourire, « touché, j'aurais bien fait tourner mais- » tu désignes le mégot à tes pieds. t’avais besoin de décompresser, les nœuds qui avaient élu domicile dans ton estomac commençaient tout doucement à te consumer. tu te sens un peu plus léger, assez pour mener à bien ta mission. nouvelle taffe, tu poses tes avant-bras sur la table en bois, tu plonges ton regard dans le sien, un sourcil relevé, tu lui demandes, « elie levinski ça te parle ? » tu tues les cendres de ta clope histoire de te donner une contenance. deuxième étape, il faut commencer doucement, y aller en douceur, tâter le terrain.

tu prends un peu trop à cœur ton rôle d’inspecteur en carton, tes doigts pianotent sur le banc, moyen de pression bidon. « elie ? », tu hoches la tête, les yeux plissés. t’observes attentivement sa réaction à l’annonce de son prénom. il parait légèrement perdu, pas nécessairement énervé. ça doit être une façade, il te teste, tu dois pas sombrer. t’as quand même pas tout imaginé. leur complicité un peu trop exacerbée, les commentaires déplacés. il te rend ton briquet et t’oublies de le remercier, perdu dans tes pensées. « bien sûr que je connais elie. j'l'aime trop ce type » tes doigts qui pianotaient sur la table se figent subitement. tu tires une nouvelle latte, tu maintiens le nuage toxique une seconde de trop dans le fond de ta gorge. il l’aime trop. c’est-à-dire ? tes mots sont enrobés de fumée, « c’est-à-dire ? », t’acceptes sa bière avec méfiance, après tout c’est peut-être sa manière à lui de t’empoisonner. si elie était ton mec, t’en serais probablement capable. la possessivité. il ouvre sa bière et mécaniquement, tu suis son mouvement. tu décapsules la bouteille, un peu trop brusquement, le contenu te gicle sur la main. tu relèves les yeux vers kip qui lui est totalement serein. louche. tu fronces les sourcils en cognant ta bière contre la sienne. « pourquoi, y a quoi avec elie » tu bois une longue gorgée, le regard fixé sur ses traits illisibles. le goût te parait réglo, pas de trace d'arsenic. tu tiens plus, t'as besoin de savoir, « c'est ton mec c'est ça ? » pour la subtilité, on repassera.