Tu n'aimais pas ce genre de situations, celles ou tu as peur, panique, sueur froide. Comment pouvais t'on autant paniquer pour une si petite chose, petite créature ... Créature faisant parti de toute ta vie, ta Marguerite ... Coéquipière fidèle depuis tellement d'années, coéquipière devenant vieille, ne mangeant plus ... Coéquipière que tu n'es pas prête de lâcher. Heureusement, les vétérinaires de la ville connaissaient bien ta Marguerite et ta peur panique lorsqu'elle n'allait pas vraiment fort. Tu avais rendez vous, dans la clinique à la lisière de la ville, pas plus de vingt minutes en voiture ... Tu es partie avec ta tortue à l'aventure, elle aimait l'aventure autant que toi, ta Marguerite.

Le bruit du moteur t'apaisait, tu aimais être au volant, controlant absolument tout, tu avais rendez vous dans trente minutes, tu serais là dix minutes à l'avance, comme toujours. Néanmoins, tu ralentis la cadence en voyant cette voiture n'avançant pas, t'obligeant à t'arrêter. Un tronc d'arbre bloquait la route, tu ne pouvais pas rater ce rendez vous, tu irais à pied si il le faut. "Il ne manquait plus que ça, j'arrive Marguerite" Un pas, deux pas, suffisait d'appeler l'équipe de dépannage surement "Vous attendez ici depuis longtemps ? Vous avez déjà appeler pour que quelqu'un dégage la route ?" Tête tournée, te regardant avec un dédain très peu dissimulé. Il fallait que ce soit Paisley, cette cher Paisley ne te portant pas vraiment dans son coeur, tu n'as rien fait pour, pourtant ... Sûrement du à ta relation particulière avec Kelly, elle ne s'en était jamais vraiment habituée, pourtant Kelly et toi ça durait comme ça depuis des années "Salut Paisley" Pas vraiment amical, pas vraiment de sourire, pas vraiment ton genre. Fallait que ça tombe sur elle.

C'était devenu ton petit rituel, tous les mardis à 18h elle rendait visite à son défunt frère. Quelques mois auparavant des roues avaient crissé sur le béton humide. Par une grise journée d'orage il s'en était allé. Lui et sa femme, son adorable petite femme, laissant derrière eux une jeune orpheline. Les longues et sinueuses routes de Maggie Valley, en proie à la pluie dérapante et au brouillard déroutant étaient devenu leur sépulture. De tous ses frères, il était probablement celui avec lequel elle s'était toujours sentie le plus proche, probablement car c'était l'aîné, l'aîné de ses frères, l'aîné de toute la famille. Il était le plus grand, celui qui avait pris le plus de responsabilités, celui qu'elle avait le plus identifié à une figure de père de substitution. Il était celui qui n'avait pas hésité à prendre les coups de leur père pour elle et ses frères, lorsqu'il en avait l'occasion celui qui prenait leur défense alors que leur mère ne faisait rien et se terrait dans son coin, celui qui haussait la voix pour s'opposer à ces parents dépravés. Il s'était aussi plié en quatre pour faire des recherches pour elle, pour ses études, pour l'aider à exploiter son potentiel et trouver une manière de poursuivre ses études. Lui qui avait eu l'idée du sport pour obtenir une bourse d'études, lui qui avait fini par l'aider en lui donnant la différence financière pour qu'elle puisse se payer une université. C'était même lui qui lui avait offert cette adorable petite chienne, Mona, qu'elle emmenait partout avec elle dorénavant. Depuis petite fille, Paisley avait toujours voulu avoir un dalmatien, elle en rêvait depuis qu'elle avait découvert Les 101 Dalmatiens et qu'elle était tombée en adoration devant cette sublime race de canidé. C'était son tout premier Walt Disney et ce fut le seul qu'on lui eu offert de toute son enfance, à une période où ses parents avaient tenté de corriger le tir, mais le naturel avait toujours fini par les rattraper. Ce jour-ci elle avait pris le chemin du cimetière, non sans prendre sa jeune chienne avec elle. La petite Mona montait à l'arrière de la voiture, une vieille bicoque qu'elle avait trouvé d'occasion, faute de pouvoir se payer mieux. Elle était pratiquement à mi-chemin, quand sa route fut brusquement stoppée nette par la présence d'un immense tronc d'arbre en plein milieu de la voie.
Elle s'était arrêtée depuis quelques minutes déjà, l'oeil fixant ostensiblement la petite horloge mécanique de son vieux tableau de bord. Si la dépanneuse n'arrivait pas maintenant elle allait être en retard à son rendez-vous... Ses doigts tapotaient nerveusement le volant, 17h54 déjà, il ne lui restait que six minutes avant d'atteindre le cimetière. Elle n'avait pas le droit d'être en retard, pas pour lui, pas pour son propre frère. Soudain elle vit des phares se refléter dans son rétroviseur, elle cru un instant que c'était un camion de la ville avant de réaliser que ce n'était pas possible, il viendrait dégager la voie dans l'autre sens. La voiture vint finalement s'arrêter derrière elle et après quelques secondes où le conducteur devait s'impatienter de savoir ce qu'il se passait, elle vit une longue chevelure rousse s'extirper de la portière. « Eh merde... » murmura Paisley dans un souffle. Ni une ni deux, la rouquine arrivait déjà à hauteur de sa vitre. Paisley la baissa sans grand enthousiasme. "Vous attendez ici depuis longtemps ? Vous avez déjà appeler pour que quelqu'un dégage la route ?" Visiblement elle ne l'avait pas encore reconnu. "Salut Paisley" Forcément ça n'aurait pas pu durer... « Bonjour Ellen » Elle tourna machinalement la tête vers elle, plus par politesse qu'autre chose à vrai dire, tandis que sa chienne s'excitait déjà à l'arrière de la voiture de voir une nouvelle personne. « Non à vrai dire je pensais attendre que l'arbre s'en aille tout seul pourquoi ? » A question bête, réponse bête, comme disait son grand-père.

Tu n'avais pas envie de rester là plus longtemps, tu n'aimais pas paniquer, tu commençais néanmoins à sentir cet élan de panique au fond de ta gorge, que ferais tu si le service de dépannage ne venait pas rapidement ? Tu devais aller chez le vétérinaire, Marguerite en avait besoin, elle ne mangeait plus, c'était une urgence ... Tu n'avais pas envie de t'énerver mais la présence de Paisley ne t'aidait pas, tu ne t'étais jamais entendu avec elle, ce n'est pas maintenant que ça allait s'arranger ... Tu ne lui avais pourtant rien fait, si elle ne supportait pas d'avoir une vie fade, qu'elle se trouve un mec, qu'elle laisse les autres faire leur vie tranquillement, tu mordais sur ta chique, ça ne servait à rien, retourne dans ta voiture Ellen, attend calmement ... Tu ne pouvais pas, tu ne pouvais pas rester assise à ne rien faire. Souriant d'un air narquois, tu essayais de trouver une solution ? Partir avec ta tortue dans le froid et marcher plus d'un kilomètre essayant d'être là avant que la clinique ne ferme sachant que tu étais la dernière des clientes ? Etais ce vraiment une bonne idée ? Partir comme ça, avec ta tortue malade, laissant ta voiture ici ? Mauvaise idée sans doute c'est pour ça que tu ne bougeas pas d'un cil, tu aurais aimé pouvoir faire la conversation évacué ce stress mal venu mais fallait que ce soit cette peste devant toi "Ho mais je vois que tu as encore cette éternelle bonne humeur, Paisley, moi aussi je suis très contente de te voir" Tu n'étais pas du genre à te laisser faire et là aussi, tu aurais le dernier mot ...

Cette jeune femme elle l’a connaissait depuis pratiquement l’enfance. Petites filles elles avaient dû fréquenter la même cour d’école, parfois même les mêmes classes… sans faire attention l’une à l’autre, dans l’insouciance des jeunes enfants. Et puis à l’arrivée au collège, les enfants se toisent du regard, se jugent, se jaugent… pour construire leur propre identité par rapport aux autres. Il était alors apparu quelque-chose de flagrant. Elle était une Earnshaw, et elle une Oswalds. Les deux familles les plus radicalement opposées de Maggie Valley, une de bonne famille et l’autre complètement dépravée. Chacune avait des a priori l’une sur l’autre, toutes les deux se détestaient, mais pas pour les mêmes raisons. Pour les Earnshaw les Oswalds étaient absolument infréquentables, et Paisley les haïssait parce qu’elle les enviait. Elle jalousait la belle petite vie d’Ellen, avec des parents présents et aimants, un cadre familial stable et bien soigné. Et puis il avait fallu qu’elle mette le grappin sur l’un de ses frères, Kelly. Paisley avait vu cette relation d’un mauvais œil dès le premier jour, et elle n’avait jamais réussi à démordre de son premier avis. Elle n’avait jamais franchement eu envie de changer d’idée. Pour elle ce n’était qu’une petite bourge qui faisait sa crise d’adolescence et qui voulait sortir avec le petit voyou de la ville pour emmerder ses parents. Et malgré toutes ces années, même si leur relation, bien que flottante, avait duré dans le temps, elle ne s’y était jamais faite et n’avait même jamais cherché à connaître la rouquine. "Ho mais je vois que tu as encore cette éternelle bonne humeur, Paisley, moi aussi je suis très contente de te voir" Paisley poussa un long soupir. Ces mots la heurtaient en plein cœur. Elle avait beau penser ce qu’elle pensait d’Ellen, et ne pas cacher ses sentiments, elle avait toujours du mal à assumer sa méchanceté quand on la lui renvoyait en pleine face. « Pff, désolé. Bon j’ai appelé l’hôtel de ville, ils m’ont dit qu’ils envoyaient quelqu’un. Mais bon je ne sais pas combien de temps ça va prendre… Si tu n’as rien de très urgent à faire tu ferais peut-être mieux de faire demi-tour. »

Tu n'aurais jamais pensé pouvoir un jour parler avec un Oswalds sans crier, sans haine aucune pourtant tout était fait pour que vous n'entamiez jamais de conversation, tes parents, aussi charmants qu'ils pouvaient être regardaient néanmoins les personnes qu'ils considéraient comme inférieurs avec un dédain non dissimulés ... Les Oswalds n'étaient pas comme vous, qu'ils disaient, ils ne méritaient pas votre compagnie ... Tu ne savais pas vraiment ce qu'ils avaient de si différent, tu t'attendais, plus jeune à voir une queue ou des cornes leur pousser ... Tu appris que tardivement que ce n'était que l'argent qui avait tant creer cette abysse entre cette famille déchue du monde et vous les Earnshaw, bonne famille riche. Tu as essayé d'apprendre à les connaitre, craintive surement et tu te rendis compte qu'ils pouvaient être charmants, Kelly surtout, le seul vraiment à qui t ai osé parler ... Tu es tombée sous son charme, essayant de le cacher, essayant de ne pas ternir ton image pour finalement t'en ficher autant pour faire chier tes parents, crise d'adolescence aidant, mais surtout car tu avais envie d'assumer ta relation comme tu aurais assumé avec n'importe quel garçon ... Ca aurait peut être pu durer plus longtemps en tout cas le lien Earnshaw-Oswalds ne se rompit jamais grâce à Kelly et toi, irrémédiablement liés ... Tu aurais peut être pu lui parler, avant, quand tout était encore possible, quand vous auriez peut être pu vous comprendre ... Vous auriez peut être pu avoir une certaine conversation, devant cet arbre coupé si tu avais fait attention à Paisley aussi ... "J'espère que ça va ne va pas durer longtemps ... J'ai un rendez vous chez le vétérinaire, je dois y être dans vingt minutes, je ne peux pas rebrousser chemin ... C'est très important, ma Marguerite ne se sent pas bien ... Elle ne mange plus ..." Tu ne savais pas pourquoi tu parlais de ça avec Paisley comme si elle en avait quelque chose à faire de ta tortue "Elle est dans la voiture, j'ai peur qu'elle attrape froid si ça dure trop longtemps ..." Le stress te reprenait de plus belle, heure tournante.

Le temps, il avançait tellement doucement que ça te semblait des heures que tu étais là, des heures que tu attendais que ce foutu dépanneur arrive pour enlever cet arbre, l'énervement commençait à monter en toi, fallait vraiment que ça te tombe dessus, dix minutes. Il ne te restait que dix minutes pour arriver à l'heure à ton rendez vous, tu n'avais pas de réseau, tu étais fichée. Ta Marguerite allait mourir là, dans le froid, sans une petite feuille de laitue pour la consoler et toi, tu commençais déjà à vraiment dramatiser. Peut être que tu devais la prendre avec toi, la rassurer, elle n'avait pas l'habitude d'être séparée de toi quand elle était dehors, elle devait paniquer seule dans cette immense voiture. Elle comptait trop pour toi, c'était ton bébé, tu devais prendre soin d'elle, plus de vingt ans que tu prends soin d'elle.

Tu revenais à toi, te rendant compte que Paisley était blasée quand tu parlais de Marguerite, preuve que vous n'étiez vraiment pas proche, tout le monde, enfin toutes les personnes te connaissant un minimum avait entendu parler de ta Marguerite, ton petit monde à toi, les gens trouvaient ça drôle parfois que tu consacres autant ta vie à cette vieille tortue ... Tu te souviens qu'un jour, alcool aidant, tu avais envisagé avec Ismael et Sam de construire un hospice pour tortues, pour toutes ces vieilles tortues qui n'ont pas de chaleur et de compagnie. Attends attends, de quoi tu parles Ellen ? C’est qui cette Mar-gue-ri-te ? » . Tu soupiras en l'entendant prononcer le nom de ta tortue comme ça, ce n'était que le nom d'une fleur tout simplement, ta tortue elle aimait les fleurs, dans son estomac ... Tu ne pouvais plus la laisser seule, tu marchas le plus rapidement possible jusqu'a ta voiture, l'enroulant dans une couverture et la berçant comme un enfant ... "Vois tu chère Paisley, au cas ou tu ne le sais pas, une marguerite est une fleur, et les marguerite je les trouve aussi belle que ma Marguerite." Tu lui caressais le bout du museau, tendrement, elle était bien dans tes bras, tu savais qu'elle t'aimait autant qu'elle t'aimait ... "Je te présente ma bonne vieille Marguerite, elle va bientôt avoir vingt deux ans, je l'ai eu quand j'en avais six, mon frère est allergique à presque tout ce qui a des poils donc je l'ai adopté, elle est belle hein ? Mais oui Marguerite, tu es la plus belle" Tu regardais Paisley, tu savais que ce n'était pas commun, tu n'étais pas une fille commune "Tu trouves ça bizarre sûrement ?" Tu rigolais doucement, tu pourrais la comprendre.