C’est con la vie. C’est seulement quand on est persuadé de la perdre qu’on s’y attache de toutes ses forces. De toute son âme. De tout son désespoir. La terreur de l’humain face à l’inconnu. Cette impression de sombrer, de perdre pied, de n’être plus qu’un dé dans les mains du destin. Quelle face aurait pu le sauver ? Qu’importe. La main s’exécuta et dans sa pirouette physique y joua involontairement le destin d’un jeune soldat. Car à cet instant précis, Nash n’était plus que ça. Un corps sacrifiable, une âme dont on venterait la symbolique de la mort. Ni fils, ni frère, ni mari, ni père. Plus qu’un dé trop vite lancé. Quelque en fut le résultat, la faucheuse se joua de lui. Elle l’emprisonna dans ce long couloir noir. Il y resta longtemps, un lapse de temps que seuls médecins et proches pourront un jour lui quantifier. Malgré tout, il parlera toujours d’une éternité. Un vide sans fin, sans chance de sortie, sans brin d’espoir. Puis arriva ce jour. Cet instant si attendu et ignoré qui mena son interminable marche vers une fin méritée. Enfin, son voyage touchait à son terme. Enfin, il voyait la lumière. Pas celle manifestée par le genre humain. Non non. Une plus radieuse, divine dans son incompréhension, adulée dans sa ténacité. Plus il s'en approchait, plus sa luminescence s’intensifiait. Sous le poids de l'intrusion il sentit ses yeux faire des siennes. Puis, emprise dans un finale qu'elle souhaitait magistrale, la lumière l'enveloppa. L'aveuglement fut total. Ses rétines brûlèrent mais ses mains ne l'autorisèrent pas à vérifier les dégâts. Un premier regard sur son monde. Suivi d'un second, puis d'un troisième. Il était de retour.

Sauf que rien n'avait de sens. Machines, bruits stridents l'entouraient. Il referma un instant les yeux avant de les ouvrir à nouveau. C'est là qu'il le vit. Face à lui, se tenant debout, Dane. Son frère ne le regardait pas, il sembla esquisser un sourire. Nash chercha à l'interpeller mais les mots à peine formés du bout de ses lèvres disparaissaient instantanément. Alors, dans un ultime appel à l'aide, ses doigts effleurèrent la main de son aîné. L'effort était fait, la bouteille jetée à la mer. Le sourire s’affaissa et ce regard d'ordinaire si rieur, si joviale se posa sur lui. Oui, il était de retour.   

A la seconde tentative, ses yeux peinèrent à s’ouvrir mais ils s’exécutèrent douloureusement, aveuglés déjà, endoloris par la pénombre. Sa vision flouttée, le regard alerte et les yeux de nouveau à la recherche de ce frère qu’il ne connait que trop bien. Il ne le trouva pas mais en discerna un autre. Un plus brun, plus grand, plus vieux que les autres. Ce même qu’on dira être le fils du facteur histoire de l’emmerder. Puis y’a cet autre encore à côté. Ce frère à la liberté emprisonnée. Un instant, Nash cru rêver encore un peu mais ses yeux, sûrs et droits, ne mentirent pas. Ses sourcils se froncèrent tandis que ses lèvres firent brutalement barrage aux quelques sons désireux d’escapade. Privé de parole, sa main chercha aussitôt contact. Une preuve, rien qu’une toute petite. Une minuscule preuve que son cauchemar était fini, qu’il était de retour. Bien là autour de siens. Désormais présent à jamais. Sa mémoire n’était pas tout à fait en place et ses souvenirs encore trop flous pour combler les trous du puzzle mais il le savait, il revenait de loin. De très loin. Sa gorge asséchée par la soif, ses muscles atrophiés par le manque d’exercice et surtout, les regards inhabituellement inquiets de ses frères. Ces trois hommes aussi différents que complémentaires. Ces aînés dont il était fier d’être l’ultime petit frère. Malgré mésententes, désaccords et absences, un Gallagher restait un Gallagher, envers et contre tout. Nash n’avait pas dérogé à la règle. Petit déjà, il lui arrivait de fièrement exhiber ces frères qu’on connaissait de nom et de réputation. Avec les années, la différence fut souhaitée et de bébé de la fratrie Nash voulut faire son propre chemin. Créer son identité, sa valeur humaine sans qu’un quelconque lien avec ses frères en soit la raison. L’armée fut un choix de carrière assumé bien que motivé par le secret désir de voir fierté et respect se dessiner dans les regards de ses aînés. Même lieutenant, il n’en demeura pas moins persuadé de rester à jamais aux yeux de ses frères le bébé de la fratrie. « Sa… » Deuxième tentative étouffée par ses lèvres asséchées. Un rapide coup de langue vint corriger l’échec. « S’lut les bitch. » Un faible sourire illumina son visage. Le premier de ces dernières semaines, le presque unique de celles à venir. Ce fut à cet instant qu’il les discerna dans les yeux de ses frères. Cette fierté et ce respect qu’il aspirait tant recevoir. Cette revendication enfantine d’avoir réussi l’exploit tant convoité, mérité. Puis cette émotion plus larmoyante, moins revendiquée de le voir en vie, de le savoir miraculé. Heureux témoins de son réveil, chacun d'une part et d'autre de son lit. Chacun empoigné dans des souvenirs et des émotions qu'ils gardèrent pour eux-mêmes. Tous trop bien conscients de la presque issue finale.  « J’suis là » Trois mots en hommage à ceux qui ne le furent pas. Deux syllabes en réconfort pour ces trois hommes autour du lit de leur cadet. « J’suis là. » Un même et unique constat pour l’homme allongé dessus.